Vers fil-de-fer : comment y remédier?
Alors qu’une bonne partie des semences utilisées au Québec étaient jusqu’à tout récemment enrobées d’un insecticide, la tendance s’inverse et on fait maintenant appel à une approche intégrée qui comprend du dépistage et des modèles mathématiques de probabilité d’infestations et de dommages aux cultures. Donc, plus de matière grise et moins de matières actives, au profit des producteurs et de l’environnement.
Certaines parcelles de sols sont plus à risque d’infestation par les neuf genres de ravageurs appelés vers fil-de-fer (VFF) présents au Québec. Ces vers mesurant de quelques millimètres à quelques centimètres s’alimentent en surface d’avril à juin et de la mi-août à la mi-octobre, quand les conditions sont fraîches et humides. Ils se nourrissent de matière organique, ne faisant pas la différence entre des résidus de culture, du fumier ou de tendres semences.
Dans les dernières années, les résultats du Centre de recherche sur les grains (CÉROM) ont montré hors de tout doute que les insecticides appliqués sur les semences comme répulsifs aux VFF étaient injustifiés dans 96 % des cas.
La réponse de l’agriculture québécoise s’est résumée ainsi : proactivité. « Nous avons migré vers une approche intégrée qui inclut un dépistage dans les règles de l’art », explique l’agronome François Labrie, de Sollio Agriculture.
Alors qu’ailleurs au Canada c’est encore près de 80 % des semences de maïs et 25 % des semences de soya qui sont traitées, indique l’agronome Philippe Defoy de Maizex, cette proportion a régressé fortement au Québec en raison de l’obligation de la prescription agronomique. Philippe Defoy est toutefois très fier de la flexibilité de Maizex, qui répond aux spécifications des agronomes et des clients avec un ensachage sur mesure, effectué en Ontario.
Il existe, depuis 2017 l’outil prédictif VFF QC (accessible sur info-sols.ca), qui jauge le risque selon différents paramètres:
précédents culturaux;
texture de sol;
matière organique;
lieu géographique;
travail de sol;
Le dépistage par piégeage
Chaque printemps, les coopératives du réseau Sollio Agriculture sont à pied d’œuvre pour piéger les taupins. La méthode consiste à creuser, à la période des semis, quand la température du sol à 10 cm est supérieure à 8 °C, des pièges-fosses de 15 cm de largeur et de profondeur, et à y déposer un mélange attractif composé à parts égales de grains entiers, de farine et de gruau. Les grains qui germent et la mixture qui fermente dégagent du gaz carbonique qui attire les vers.
Chez Sollio & Avantis Agriculture coopérative, l’agronome Frédéric Normand, directeur de l’agroenvironnement et des productions végétales, et son équipe font le dépistage. En 2021, ils ont dépisté pendant l’équivalent de 130 heures dans 22 fermes (recrutées en 2020).
Ainsi, Sollio & Avantis ont pu expédier au Laboratoire quelques 168 VFF capturés chez les participants. Mieux encore, l’équipe a compilé et offert ses résultats au CÉROM, qui gère l’outil VFF QC, ce qui a permis d’alimenter la base de données de résultats récents, en sus de ceux rapportés par les contributeurs du Réseau d’avertissements phytosanitaires (RAP) Grandes cultures. En 2021, on poursuivra le travail avec des dépistages automnaux ciblés surtout dans des prairies. « On tire une fierté de mieux justifier nos recommandations et de participer à diminuer l’empreinte de l’agriculture », dit Frédéric Normand.
Engagée dans une démarche de certification écoresponsable (premier niveau) du Conseil des industries durables, l’équipe végétale et agroenvironnementale de La Coop Comax (maintenant Agiska Coopérative) n’est pas en reste. Le dépistage des VFF s’est déployé en 2019 dans 23 champs, puis dans 35 champs en 2020. Ces efforts, jumelés aux suivis courants de la qualité des semis, ont permis d’affiner la compréhension des conseillers sur les champs les plus et les moins à risque.
Les résultats sont éloquents : alors qu’en 2016 près de 100 % des semences de maïs et plus de 50 % des semences de soya étaient traitées, la proportion (maïs et soya confondus) a chuté à 48 % en 2018, 27 % en 2019 et 19 % en 2020. D’une assurance tous risques, l’approche est aujourd’hui tout autre. « Il y a plus de réflexion agronomique : on fait une véritable gestion de risques, en soupesant les facteurs », explique l’agronome Mario Rivard, qui souligne que les néonicotinoïdes n’ont pas été bêtement remplacés par d’autres insecticides à plus faible risque pour l’environnement et la santé humaine.
Mathématiques et théorie
Comme le cycle des VFF peut être long (un à six ans à l’état larvaire avant qu’ils deviennent des coléoptères adultes), les dépistages donnent un portrait qui demeure crédible sur plus d’une année dans un même champ, un aspect qui encourage les observations sur le terrain, selon François Labrie. Le dépistage a ses vertus; néanmoins, le modèle mathématique VFF QC, jugé fiable à 85 % par le CÉROM, permet une estimation valable des risques.
Lancé en 2017, ce modèle comptait sur des données de dépistage allant de 2011 à 2016. Depuis, on nourrit l’outil de nouveaux dépistages, qui affinent les prédictions. Julien Saguez, biologiste-entomologiste et chercheur en biosurveillance au CÉROM, aimerait voir plus de saisies de données en provenance de régions qui cultivent moins de maïs.
5 manières de prévenir les dommagesés
Enrichir la rotation de plantes qu’affectionnent peu ou pas les vers fil-de-fer:
soya
luzerne
tournesol
sarrasin
Pratiquer un travail de sol:
Le faire lorsque les vers sont en surface, au printemps et à l’automne. Le retournement du sol expose les vers à la prédation et au dessèchement.
Semer hâtivement, mais dans de bonnes conditions:
Cela favorise une germination et une levée rapides en sept jours. Passé le stade de six feuilles, le maïs ne subit plus de dommages.
Favoriser les meilleures conditions de culture :
bon égouttement;
faible compaction;
terre qui se réchauffe rapidement au printemps.
Augmenter le taux de semis:
Cela compensera d’éventuelles pertes de plantules, surtout dans les champs à risque élevé.
Sources :
Ministry of Agriculture, Food and Rural Affairs. Crédit photo : © King’s Printer for Ontario, 2023
La version originale de cet article est parue dans le magazine Coopérateur de mai-juin 2021.