How to make their farms prosper and feel more secure about their families’ futures.
11 février 2020

Combler l’écart entre les deux solitudes : qu’est-ce qui peut être fait?

Par Sébastien Léveillé, chef de la direction de Sollio Agriculture

Nous célébrons le Jour de l’agriculture canadienne aujourd'hui et j’aimerais vous faire part de quelques réflexions qui nous animent chez Sollio Agriculture. L’agroalimentaire, qui constitue l’une des principales industries au Canada, contribue aux économies régionales, emploie beaucoup de personnes et est en croissance[1]. Il faut reconnaître, toutefois, que la vie des producteurs agricoles est de plus en plus complexe : ils doivent nourrir la population, demeurer concurrentiels, continuer d’investir dans des équipements et en technologie, être axés sur les données, rester calmes face à leur ratio d’endettement, moins polluer et s’adapter constamment aux besoins des consommateurs.

Je rencontre régulièrement des producteurs agricoles, c’est la partie que je préfère dans mon travail.  Et  une question les empêche parfois de dormir la nuit :

Comment développer une agriculture prospère pour réduire l’angoisse des producteurs agricoles quant à l’avenir de leur famille?

Je vois six pistes d’action :

Un. Amorcer un véritable dialogue entre les deux solitudes du Canada. Bien que j’emprunte l’expression du premier ministre canadien Pierre-Elliot Trudeau, je ne parle pas des Canadiens francophones et anglophones, mais bien des Canadiens ruraux et urbains. Les villes canadiennes ont connu une expansion de 50 % en dix ans, tandis que la population rurale est restée inchangée. Selon Rabobank, « le principal défi de l’industrie est le manque de connexion entre la ferme et la fourchette »[2](trad.).

Deux. Revoir nos certitudes. Le monde change. Le monde est dans la rue : il faut revoir nos certitudes. Nous avons été habitués progressivement à ce que le consommateur dicte certains choix et certaines façons de faire et nous nous sommes adaptés pour répondre à ses attentes. C’était une question de parts de marché, de positionnement, de compétitivité. Aujourd’hui la société souhaite avoir son mot à dire sur Quoi produire, Comment le produire et Pour qui le produire. Tout le monde se sent légitimement autorisé à dire aux producteurs agricoles ce qu’ils devraient produire et comment ils devraient le produire. Il faut se demander comment on veut agir si on veut être proactifs face à cette nouvelle réalité d’affaires. Ce qui est certain, c’est qu’il faut être présents et faire partie de la conversation; parce que l’agriculture, c’est beaucoup plus complexe que certains peuvent le croire.

Trois. Créer de la valeur pour les producteurs. Comment? En attrapant la balle au bond et en transformant ces mouvances sociales en opportunités d’affaires. Alors que certains lancent des légumes surgelés « sans résidus de pesticides » d’autres, qui n’ont pas besoin de présentation, offre de la « viande végétale ». Autre signe avant-coureur : les nouvelles certifications de durabilité pour la commercialisation des grains, de plus en plus répandues, en particulier ISCC (International Sustainability & Carbon Certification) pour les céréales et RTRS (Round Table Responsible Soy) pour le soya. Celles-ci affectent déjà ce qui se passe dans le champ.

Quatre. Accélérer l’agriculture de précision. Si la technologie permet d’accumuler de plus en plus de données sur l’utilisation des produits, le changement des pratiques au champ, lui, se fait attendre. Il faut accélérer l’implantation de l’agriculture de précision, et pour y arriver, il faut accélérer la numérisation de l’agriculture. D’abord, un programme de crédits d’impôt favoriserait cette action. Il faut ensuite faciliter l’application localisée de produits. Pour y parvenir, il faut attirer les fabricants de machinerie agricole de précision, pour que le Canada devienne un marché intéressant pour eux. La création d’un programme incitatif visant la mise à niveau des équipements pour les producteurs agricoles est aussi un facteur de succès pour les encourager à prendre le virage. Une agriculture précise, intelligente : le bon produit, la bonne dose, au bon endroit et au bon moment. Pour nous, c’est à la base d’une agriculture de précision et durable.

Cinq. Nous devons adopter des technologies innovatrices et un ambitieux programme d’acquisition de compétences. Dans l’édition d’août 2019 de Leadership avisé RBC, Agriculteur 4.0 : Comment les prochains développements de connaissances peuvent transformer l’agriculture, l’institution financière souligne que la part du Canada dans les exportations alimentaires mondiales n’a pas cessé de baisser au cours des 20 dernières années et que le taux de croissance de sa productivité a diminué pour atteindre 1,8 %. Je suis entièrement de l’avis de RBC quand elle affirme que nous devons repenser et transformer nos modes de production et de commercialisation dans l’agroalimentaire, et encore plus lorsque son étude révèle que « la productivité agricole du Canada pourrait revenir à la moyenne récente sur dix ans de 3 %. Ce qui en découlerait : 11 milliards de dollars de plus en production » d’ici 10 ans[3].

Six. Les grandes organisations doivent s’attaquer au problème de la pénurie de main-d’œuvre et cela s’applique aussi aux entreprises agricoles, car une pénurie de 123 000 travailleurs est prévue dans le secteur de l’agriculture dans les 10 prochaines années[4]D’ici 2025, 25 % des producteurs agricoles seront âgés de 65 ans et plus. En tant que division de la plus grande organisation coopérative agricole au Canada, Sollio Agriculture adhère à des principes de respect et d’humanité dans leurs activités. Je crois que les plus jeunes générations sont plus attirées par les organisations qui proposent des modèles d’affaires de rechange. Je pourrais dire que les coopératives sont aussi « destinées » à être rentables et responsables en même temps : rentables parce que le coopératisme revient à « faire de l’argent pour le bien général » et responsables parce que le coopératisme vise à veiller au bien des familles agricoles, à leur santé et à la qualité de leur environnement.

Nous sommes présents dans 265 communautés rurales au Canada et nous partageons leurs angoisses. Dans certains cas, la fermeture d’une ou deux entreprises agricoles peut entraîner la fermeture de l’école du village. Les producteurs agricoles éprouvent de l’anxiété à l’égard du commerce international, de l’écologie, de la prochaine génération de producteurs et des citadins qui ne comprennent pas la réalité agricole.

D’une part, il faut mieux se connaître d’une solitude à l’autre. Pour que nos concitoyens urbains découvrent et comprennent la réalité du producteur agricole, il faut ouvrir un vrai dialogue en allant au-delà de nos différences pour trouver des points communs. Par ailleurs, si on veut développer une agriculture prospère et contribuer à réduire l'angoisse des producteurs quant à leur avenir et à celui de leur famille, il faut faire la transition vers une agriculture plus durable. Cette transition est déjà amorcée, mais elle manque souvent de moyens ou d’appui. Nous devons donc être prudents afin qu’elle ne se fasse pas au détriment de la productivité et alertes pour saisir les occasions de faire bénéficier les familles agricoles de ces nouvelles connaissances et technologies.

La Coop fédérée et Sollio Agriculture : quelques faits

La Coop fédérée - 2e plus grande coopérative au Canada:

Sollio Agriculture représente le secteur des intrants agricoles de La Coop fédérée : ​

[1] Le secteur agroalimentaire représente 2,9 % (49,4 milliards de dollars) du PIB du Canada et 12 % (62,5 milliards de dollars) des exportations du pays. Il fournit de l'emploi à 575 800 personnes. Source : https://www.ic.gc.ca/eic/site/098.nsf/fra/00015.html

[2] Talking points: The global farmers master class, Bridging the gap between farmer and consumer, Rabobank, November 2019

[3] Agriculteur 4.0: Comment les prochains développements de connaissances peuvent transformer l’agriculture, Leadership avisé RBC, 2019

[4] https://cahrc-ccrha.ca/sites/default/files/files/Labour-Employment/LMI_labourGap_FR.pdf