Rapprocher deux solitudes : les urbains et les ruraux
TEXTE DE SÉBASTIEN LÉVEILLÉ, CHEF DE LA DIRECTION DE SOLLIO AGRICULTURE ET VICE-PRÉSIDENT EXÉCUTIF DE LA DIVISION AGRICOLE DE LA COOP FÉDÉRÉE PARU DANS LE MAGAZINE COOPÉRATEUR, ÉDITION JUILLET-AOÛT 2019
Le chef de la direction de Sollio Agriculture fait le point sur la prochaine Commission parlementaire de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN).
Les pratiques agricoles ont fait régulièrement les manchettes au cours des derniers mois : règlementation sur l’usage des produits de phytoprotection, statut de l’agronome, présence d’entreprises de l’industrie dans des conseils d’administration de centres de recherche, etc. Les questions posées peuvent nous déranger, mais elles ne devraient pas nous surprendre : la population est plus que jamais sensible à l’environnement et à ce qu’il y a dans son assiette. Et elle le crie haut et fort, dans les médias et les réseaux sociaux.
Malheureusement, la perception qu’ont les urbains du monde des producteurs agricoles est teintée d’un romantisme qui n’a souvent rien à voir avec la réalité. Beaucoup oublient souvent que le producteur agricole est d’abord un entrepreneur soumis à une vive concurrence, qui évolue dans une industrie aux pieds d’argile lourdement règlementée. Sa mission est de contribuer à nourrir une population en croissance, tout en générant de la rentabilité. Il a également l’espoir que ses enfants et les générations futures continueront d’exploiter sa terre. On peut donc dire qu’il existe un fossé entre les personnes qui vivent en milieu urbain et celles qui se trouvent en zone rurale. Pour faire une analogie, certains parlent de deux solitudes. Dans ce contexte, la tenue d’une commission parlementaire est une bonne nouvelle. Cela témoigne d’un intérêt de la population à l’égard des pratiques agricoles, et c’est à nous de montrer que nous sommes sensibles à ses préoccupations. C’est une occasion en or de créer un pont entre les urbains et les ruraux. Nous avons d’ailleurs demandé à y participer et nous avons l’intention de déposer un mémoire afin de nous faire entendre et d’exprimer avec nuance et rigueur la complexité du monde agricole. Trois sujets nous tiennent particulièrement à cœur, et nous nous faisons une mission d’expliquer notre point de vue aux députés et, plus largement, aux Québécois
- L’impact des pesticides sur la santé et l’environnement.
- Les pratiques de remplacement et d’innovation actuelles et à venir.
- Le statut de l’agronome et l’indépendance de la recherche en agriculture.
Les dates de la commission ne sont pas encore connues, mais nous tenions à vous présenter un aperçu de notre position sur chacune de ces trois questions.
L’IMPACT DES PESTICIDES SUR LA SANTÉ PUBLIQUE ET L’ENVIRONNEMENT
L’agriculture est un écosystème complexe qui interagit avec trois dimensions fondamentales, soit les dimensions humaine, écologique et économique. La mise en place de solutions pérennes qui tiennent compte de ces trois dimensions n’est pas simple, puisqu’on tire de nombreux avantages de l’utilisation des produits de phytoprotection, notamment l’obtention de rendements suffisants à coût abordable, qui maintiennent la compétitivité de l’agriculture québécoise. Il y a donc un équilibre nécessaire à prendre en compte entre ces dimensions. Le but à atteindre : une application aux champs du bon produit, au bon endroit, au bon moment et à la bonne dose.
LES PRATIQUES DE REMPLACEMENT ET D’INNOVATION ACTUELLES ET À VENIR
Pour être pérennes et donner les résultats escomptés, toutes les solutions de remplacement devront assurer le maintien des rendements. Elles devront aussi être offertes à un coût abordable et faire l’objet d’une formation destinée tant aux experts-conseils qu’aux producteurs, afin d’assurer un haut taux d’adoption.
Enfin, il ne faudra pas négliger d’informer le public sur la nature de l’industrie agricole d’aujourd’hui. L’information présentée à la population n’est pas toujours représentative de la réalité et des connaissances scientifiques actuelles. Il faut également contribuer à exposer les conséquences qu’une règlementation issue de la faveur populaire peut réellement avoir sur l’environnement. L’adoption des meilleures pratiques et des tout derniers produits n’aura donc aucun impact sur les préoccupations des consommateurs si nous échouons à communiquer efficacement. Nous devrons donc innover aussi dans nos stratégies de communication.
LE STATUT DE L’AGRONOME ET L’INDÉPENDANCE DE LA RECHERCHE EN AGRICULTURE
Pour ce qui est de la question des agronomes liés et non liés, nous croyons qu’il n’existe qu’une catégorie d’agronomes et qu’aucun agronome n’est non lié. Quel que soit leur statut professionnel, tous les agronomes agissent pour garantir la prospérité des familles agricoles et la santé des consommateurs. Qu’ils travaillent ou non pour une organisation qui fait la distribution de produits, tous les agronomes suivent la même formation universitaire. Ils sont encadrés par le même ordre professionnel et soumis au même code de déontologie.
Les agronomes travaillant en entreprise jouent également un rôle dans l’adoption de pratiques et de méthodes innovantes. En étant branchés à la fois sur la recherche et le terrain, ils peuvent agir comme courroie de transmission entre les deux. Ils sont donc plus informés et mieux outillés pour conseiller les producteurs agricoles et les aider à adopter les dernières innovations. En contrepartie, les producteurs qui ne sont pas à l’aise avec cette situation ont aussi la possibilité de travailler avec un agronome membre d’un club-conseil en agroenvironnement. Dans tous les cas, les producteurs agricoles doivent pouvoir choisir de manière équitable la provenance de leurs services et de leurs conseils. Dans un contexte de concurrence internationale et interprovinciale, il faut accélérer l’innovation, pas la ralentir. La technologie joue un rôle central dans le développement de bon nombre d’industries, et l’agriculture ne fait pas exception. En adoptant une approche progressiste quant à la réalité changeante de la gestion des entreprises agricoles, nous contribuons à la transition vers une agriculture 2.0. L’industrie génère, par son enracinement profond, des solutions innovantes et rentables pour les fermes. Et en agriculture, cet enracinement, ce sont la présence et le conseil agronomiques.
DES PRATIQUES AGRICOLES RESPONSABLES ET RENTABLES : LE GROS BON SENS
Depuis des millénaires, l’agriculture joue un rôle majeur dans le développement économique des pays et des régions. Des civilisations entières se sont développées grâce à l’agriculture, qui favorise non seulement leur sécurité et leur souveraineté alimentaires, mais également leur stabilité sociale et économique. Encore aujourd’hui, les producteurs agricoles sont bien souvent le coeur et les poumons économiques des régions. Sans eux, bien des collectivités disparaîtraient ou auraient disparu. Il importe donc qu’ils bénéficient d’un soutien adéquat pour faire face aux nombreux défis inhérents à cet important secteur d’activité.
L’agriculture a pour unique objectif de nourrir la population. Le producteur agricole a pour but ultime de léguer sa terre à la génération qui suit. Développer des pratiques agricoles responsables, qui permettent de garantir la prospérité des familles agricoles et de nos collectivités rurales, est fondamental.
Même si les temps changent, il y a une chose qui reste, une chose qui appartient aux producteurs agricoles : le gros bon sens. Vous pouvez compter sur nous pour en faire la démonstration dans les prochains mois, non seulement auprès de la commission parlementaire, mais plus largement auprès de la population du Québec.